Pour les jeunes artistes tunisiens, construire une carrière célèbre est un parcours qui mêle passion, stratégie et résilience. La scène artistique nationale connaît une dynamique positive depuis la révolution, avec l’ouverture de nouvelles galeries, une attention accrue des médias internationaux et la mise en place de programmes de soutien[citation:7]. Cependant, des défis persistent, notamment un sentiment d’inégalité des chances pour les créateurs des régions de l’intérieur du pays et la précarité d’un secteur encore en cours de structuration[citation:3][citation:6]. Percer nécessite donc de combiner un travail artistique authentique avec une compréhension des leviers pratiques disponibles, des concours aux plateformes numériques, en passant par les réseaux professionnels.
1. Saisir les opportunités des concours, résidences et programmes d’accompagnement
Les concours et programmes structurés sont des tremplins de premier ordre. Ils offrent bien plus qu’une dotation financière : une visibilité immédiate, une validation de la part d’institutions reconnues et un accompagnement crucial pour les étapes suivantes. Ils sont souvent la première porte d’entrée vers le milieu professionnel.
Le Prix des Jeunes Artistes de la Galerie TGM
Ce prix annuel, dédié aux artistes en devenir qu’ils soient issus des beaux-arts, d’autres formations ou autodidactes, est exemplaire[citation:1]. Il propose un thème annuel (comme « 90’s Reloaded » en 2025) et récompense trois lauréats par des dotations (2000, 1500 et 1000 dinars). Au-delà de l’aspect financier, la galerie s’engage à suivre et à exposer les artistes, offrant un précieux suivi post-concours[citation:1].
Le Programme TACIR (Talents-Arts-Créativité-Inclusion-Recherche)
Ce dispositif vise spécifiquement à réduire les inégalités d’accès à la culture. Il propose un accompagnement via des « TACIR-Labs » implantés dans plusieurs régions, incluant des cycles de formation et un soutien à la mise en œuvre de projets pour les jeunes porteurs d’idées créatives[citation:3].
Le Prix Moovjee Tunisie
Dans sa catégorie « Art & Culture », ce prix s’adresse aux jeunes entrepreneurs de 18 à 30 ans portant un projet culturel. Les lauréats peuvent remporter une dotation, un mentorat personnalisé et une participation au Salon de l’Entrepreneur à Paris, ouvrant ainsi une perspective internationale et entrepreneuriale à la pratique artistique[citation:2].
La Plateforme « In Situ » (2025-2028)
Ce programme public est ouvert aux artistes tunisiens ayant des projets conçus pour des lieux non conventionnels (art dans l’espace public, interventions spécifiques). Il soutient les démarches artistiques innovantes qui sortent des cadres traditionnels de la galerie ou du musée[citation:9].
Le Salon National des Beaux-Arts
Lancé en 2025, ce salon a pour ambition de devenir une vitrine nationale récurrente. Il expose des artistes de tous les gouvernorats et prévoit un comité d’achat d’œuvres, créant ainsi un pont direct entre les créateurs des régions et les collections institutionnelles[citation:8].
Les incubateurs spécialisés comme Lab’ess ou Minassa
Ces structures accompagnent les projets entrepreneuriaux dans le secteur des Industries Culturelles et Créatives (ICC). Ils fournissent un appui crucial en création d’entreprise, management, marketing et réseautage, compétences essentielles pour tout artiste souhaitant vivre de son art[citation:10].
2. Construire sa visibilité sur les plateformes numériques et les réseaux sociaux
Les technologies numériques sont devenues un outil d’émancipation majeur, notamment pour les jeunes des zones marginalisées qui y trouvent un moyen de contourner le manque d’infrastructures culturelles locales[citation:3]. Une présence stratégique en ligne permet de construire un public, d’affirmer son identité artistique et d’attirer l’attention au-delà des frontières.
La rappeuse ODA
ODA a méthodiquement construit son audience en publiant une série de morceaux courts et percutants sur YouTube et les plateformes de streaming depuis 2022. Cette stratégie lui a valu d’être repérée et programmée au festival Tunis-sur-Seine à Paris, marquant sa première prestation en France[citation:5].
L’artiste Dhalma (Hamza Trabelsi)
Dhalma a su cultiver une forte communauté en ligne, cumulant plusieurs millions de vues sur ses clips YouTube et atteignant plus de 28 000 auditeurs mensuels sur Spotify. Cette notoriété numérique sert de base solide à sa carrière[citation:5].
Les galeries et centres d’art en ligne
Des plateformes comme Artify ou Teskerti.tn émergent spécifiquement pour promouvoir et commercialiser des œuvres d’art tunisiennes. Y être présenté élargit considérablement le marché potentiel de l’artiste[citation:10].
La valorisation numérique du patrimoine
Les jeunes créateurs peuvent se saisir de projets innovants comme la création de visites virtuelles de sites patrimoniaux. Cette niche, soutenue par des programmes comme le TACIR, allie création artistique, technologie et valorisation culturelle[citation:3].
Le marketing de contenu spécifique
Au-delà de la simple exposition des œuvres, partager le processus créatif (atelier, sources d’inspiration, défis techniques) sur Instagram, TikTok ou Facebook permet de créer un récit engageant et de fidéliser un public.
La participation à des appels à projets internationaux en ligne
De nombreuses résidences d’artistes, festivals ou fondations publient leurs appels à candidatures sur le web. Une veille active et des candidatures ciblées permettent d’intégrer des circuits artistiques internationaux.
3. Bénéficier d’une formation artistique solide et continue
Si l’autodidaxie est une voie respectée, une formation structurée reste un atout puissant. Elle apporte des bases techniques, un cadre critique, et surtout, un réseau (celui des professeurs et des promotions) qui perdure toute la carrière. En Tunisie, l’offre se diversifie au-delà des parcours classiques.
Les écoles traditionnelles : l’Institut Supérieur des Beaux-Arts de Tunis
Cette institution historique a formé de nombreux artistes contemporains reconnus, comme le photographe Fakhri El Ghezal[citation:7]. Elle demeure un pilier pour les disciplines fondamentales (peinture, sculpture, gravure).
L’École Supérieure des Arts et du Design (ESAD)
L’ESAD se positionne comme une école d’excellence, offrant des formations qui mènent à des « opportunités de carrière infinies » dans le domaine créatif[citation:4]. Elle représente une alternative moderne aux Beaux-Arts.
Les formations spécialisées dans les métiers de la culture
Des programmes comme l’Executive Master Management et Politiques de la Culture (Dauphine Tunis) ou les formations du programme Tfanen Takwin répondent à un besoin crucial de professionnalisation de la gestion de projet culturel[citation:10].
Les ateliers et workshops du B’chira Art Centre
Fondé par l’artiste et mécène B’chira Triki Bouazizi, ce centre à Sidi Thabet ne se contente pas d’exposer. Il propose des ateliers et des studios, offrant un cadre de formation continue et d’expérimentation pour les jeunes artistes[citation:7].
Les formations professionnelles aux métiers artisanaux et créatifs
Le Plan National de relance de l’artisanat inclut un axe formation. Saisir ces opportunités dans des domaines comme la céramique, la fabrication d’instruments de musique ou le design textile permet d’allier savoir-faire traditionnel et création contemporaine[citation:10].
L’apprentissage auprès d’artistes confirmés
Intégrer l’atelier d’un artiste établi en tant qu’assistant reste une forme de transmission inestimable. Des figures comme Mohamed Ben Soltane, directeur du B’chira Art Centre, jouent activement ce rôle de passeur[citation:7].
4. S’insérer dans le réseau professionnel et les lieux de diffusion
Le monde de l’art fonctionne en grande partie par réseaux. Se faire connaître des galeristes, critiques, commissaires d’exposition et autres artistes est indispensable. Cette insertion passe par une participation active à la vie artistique et une compréhension de ses différentes scènes.
Les galeries pionnières : Galerie El Marsa et Le Violon Bleu
Ces galeries établies (à Tunis et Sidi Bou Saïd) ont historiquement porté des artistes comme Mouna Karray ou Hela Ammar[citation:7]. Repérer les galeries dont la ligne curatoriale correspond à son travail et leur présenter son portfolio est une étape clé.
Les nouvelles plateformes : Carthage Contemporary
Née après la révolution, cette plateforme a été créée spécifiquement pour promouvoir l’art moderne tunisien. Elle représente un réseau et une vitrine dédiés aux créations contemporaines[citation:7].
Les festivals pluridisciplinaires : Tunis-sur-Seine
Ce festival à Paris est une vitrine internationale majeure. Y être programmé, comme les artistes ODA, Dhalma ou Nejia, offre une exposition devant un public et des professionnels étrangers[citation:5].
Les biennales et foires d’art
La participation à des événements comme la Biennale de l’Art Africain Contemporain de Dakar ou la Foire d’Art Contemporain de Tunis élargit considérablement le réseau et place l’artiste dans un contexte de marché.
Les lieux alternatifs et espaces indépendants
En parallèle des circuits traditionnels, des collectifs d’artistes gèrent souvent des espaces auto-gérés. Y exposer ou y participer à des événements permet de rencontrer une scène émergente et dynamique.
Les institutions culturelles étrangères en Tunisie
L’Institut Français, le British Council ou le Goethe-Institut organisent régulièrement des expositions, résidences et appels à projets. Collaborer avec eux est une excellente porte d’entrée vers des réseaux internationaux[citation:10].
5. Explorer les secteurs porteurs des Industries Culturelles et Créatives (ICC)
L’art ne se limite plus aux galeries. Le secteur des ICC, bien que ne représentant encore qu’environ 1% du PIB tunisien, est en plein essor et attire près de 9% des start-ups labellisées[citation:6][citation:10]. Diversifier sa pratique vers ces domaines connexes ouvre de nouveaux débouchés économiques et créatifs.
Le design et les services créatifs
C’est la filière la plus génératrice de chiffre d’affaires des ICC en Tunisie (39% du marché)[citation:6]. Les compétences artistiques peuvent s’y appliquer dans le design graphique, le design d’objet, la scénographie, etc.
L’audiovisuel et le cinéma
Le secteur regroupe la production vidéo, le cinéma et l’animation. Des start-ups comme Nuked ou Cockroach opèrent dans ce domaine[citation:10]. Un artiste plasticien peut y trouver sa place comme directeur artistique, storyboarder ou créateur de décors.
Le jeu vidéo
Ce secteur est en croissance et nécessite une multitude de profils artistiques : illustrateurs, modeleurs 3D, character designers, concept artists. C’est un débouché technique et très porteur pour les dessinateurs et peintres.
L’édition et l’illustration
L’illustration de livres, de couvertures, la bande dessinée ou le graphisme éditorial sont des marchés stables. L’artiste Mohamed Ben Soltane a, par exemple, évolué avec succès de la photographie à la bande dessinée[citation:7].
La mode et le textile
Le travail de la photographe et brodeuse Hela Ammar, qui explore l’identité féminine à travers la technique du « Tarz » (broderie), montre la porosité entre art contemporain et design textile[citation:7].
La médiation culturelle et le commissariat d’exposition
Comme le montre le parcours de Mohamed Ben Soltane (artiste et commissaire) ou de B’chira Triki Bouazizi (artiste et fondatrice de centre d’art), diversifier ses activités vers la curation ou la médiation construit une expertise et une autorité dans le milieu[citation:7].
6. Trouver des financements et soutiens adaptés à son projet
La question financière est souvent le principal obstacle. Au-delà des prix, il existe des mécanismes variés, bien que parfois méconnus ou complexes d’accès. Les connaître et apprendre à construire un dossier solide (business plan pour un projet créatif) est une compétence indispensable.
Les subventions du Ministère des Affaires Culturelles et de l’APII
L’Agence de Promotion de l’Industrie et de l’Innovation (APII) accorde des incitations pouvant couvrir 30% à 50% des coûts d’un projet. Le ministère dispose aussi de fonds spécifiques via ses institutions[citation:3][citation:6].
Le mécénat (loi de 2014)
Cette loi permet aux entreprises de déduire la totalité des montants consacrés au mécénat culturel. Elle est cependant peu connue et sous-exploitée. Approcher des entreprises en leur présentant un projet aligné avec leur image peut être une source de financement[citation:10].
Les fondations privées tunisiennes
La Fondation Rambourg, la Fondation Abdelwaheb Ben Ayed (FABA) ou la Fondation Drosos (active en Tunisie) soutiennent des projets culturels et sociaux. Leurs appels à projets sont à surveiller[citation:3].
La coopération internationale et les fonds européens
Des programmes comme Maghroum’in (financé par l’UE) ou le soutien d’ambassades (Suisse, France) financent régulièrement des initiatives culturelles. Leurs critères sont souvent liés au développement local, à l’inclusion ou à l’innovation sociale[citation:3].
Le crowdfunding (financement participatif)
Plateformes locales et internationales permettent de financer un projet (production d’un album, d’une exposition, d’un court-métrage) directement auprès du public. C’est aussi un excellent outil de communication et de validation du projet.
La vente d’œuvres et la diversification des revenus
Outre la vente classique en galerie, développer des éditions limitées (prints, objets dérivés), proposer des ateliers de pratique artistique ou des conférences sont des sources de revenus complémentaires qui financent le cœur de l’activité créatrice.
Conclusion
Devenir un artiste célèbre en Tunisie est un chemin exigeant mais réalisable, qui s’appuie sur un écosystème en pleine évolution. La clé du succès réside dans une approche proactive et plurielle : allier une production artistique personnelle et exigeante à une stratégie de carrière pragmatique. Cela implique de saisir les opportunités de concours et d’accompagnement, de maîtriser les outils numériques pour se faire connaître, de se former en continu, de tisser des réseaux solides, d’explorer les débouchés des industries créatives et de rechercher activement des financements adaptés. Les exemples d’artistes émergents comme ODA ou Nejia, et confirmés comme Mouna Karray, montrent que la combinaison de talent, de persévérance et de stratégie ouvre la voie à une reconnaissance qui peut dépasser les frontières nationales[citation:5][citation:7]. La célébrité, dans ce contexte, est moins une fin en soi que la conséquence d’un travail profond et d’une insertion réussie dans les dynamiques locales et internationales de l’art contemporain.
