Absolument. La question du « roi des séries télévisées burkinabè » est fascinante car elle ne se résume pas à une simple popularité, mais à une combinaison d’influence, de longévité, d’innovation et d’impact culturel. Contrairement à d’autres industries cinématographiques, le Burkina Faso n’a pas de « star unique » écrasante, mais une figure se détache par son parcours, sa versatilité et son ancrage dans le paysage audiovisuel : Boubacar Diallo, plus connu sous le nom de Bobs Yélognissè Sébé.
Introduction : Un Paysage Télévisuel en Mutation
Le Burkina Faso possède une riche tradition cinématographique, principalement portée par le FESPACO. Cependant, la production télévisuelle sérielle a connu un essor plus tardif, à partir des années 2000. Dans ce contexte émergent, se distinguer nécessite non seulement du talent, mais aussi une capacité à incarner les aspirations, les défis et l’humour burkinabè. C’est dans ce creuset que Bobs Yélognissè Sébé a bâti son « règne », non par décret, mais par une adhésion populaire massive et constante.
Les Critères de la Royauté Télévisuelle
Pour établir un « roi », il faut définir les critères. Dans le contexte burkinabè, ils sont au nombre de quatre :
- Popularité et Reconnaissance Publique : Le personnage ou l’acteur doit être immédiatement identifiable par un large public, au-delà des cercles urbains ou intellectuels.
- Longévité et Constance : La présence doit s’inscrire dans la durée, à travers plusieurs productions marquantes sur de nombreuses années.
- Impact Culturel et Social : L’œuvre doit influencer le langage, les modes vestimentaires, les discussions et refléter (ou critiquer) la société burkinabè.
- Versatilité et Profondeur : La capacité à jouer différents rôles, de la comédie à la tragédie, et à incarner des personnages complexes.
Bobs Yélognissè Sébé, le Souverain Indiscutable
Bobs Yélognissè Sébé, de son vrai nom Boubacar Diallo, réunit tous ces critères de manière exceptionnelle. Il n’est pas seulement un acteur ; il est un phénomène culturel.
L’Architecte de Personnages Inoubliables
La force de Bobs est d’avoir créé des personnages qui sont devenus des archétypes dans la conscience collective.
- Sébé dans « Les Bobodiouf » (2005)
C’est le rôle qui l’a propulsé au panthéon. Sébé, le patriarche polygame, rusé et souvent dépassé par ses femmes et les réalités sociales, est une masterclass de comédie de situation. Son interprétation a permis d’aborder avec humour des sujets sensibles comme la polygamie, les conflits familiaux et les pressions sociales. Le personnage est si culte que son nom (« Sébé ») est souvent utilisé pour désigner un homme d’un certain âge, à la fois sage et malicieux. - Yélognissè dans « Affaires Publiques »
Ici, Bobs incarne un personnage radicalement différent : Yélognissè, un homme du peuple, honnête et intègre, qui se confronte à la corruption et aux travers de l’administration. Ce rôle a démontré sa versatilité. Il n’était plus seulement un comique, mais une voix morale, un « everyman » avec lequel le public pouvait s’identifier dans sa lutte contre l’injustice. La célèbre réplique « On est là ! » est devenue un slogan de résistance pacifique.
Un Miroir de la Société Burkinabè
Les séries portées par Bobs ne sont pas de simples divertissements ; elles sont un laboratoire d’observation sociale.
- « Taxi Brousse »
Dans cette série, il incarne un chauffeur de taxi brousse, un métier emblématique de la mobilité et des échanges en Afrique de l’Ouest. À travers ses aventures et les passagers qu’il transporte, la série explore les réalités socio-économiques, les croyances et la diversité culturelle du Burkina et de la sous-région. Bobs, en tant que pilier de la série, est devenu le visage de cette Afrique qui bouge, qui commerce et qui partage. - La Permanence dans le Paysage Audiovisuel
Alors que d’autres séries et acteurs ont connu des succès ponctuels, la présence de Bobs Yélognissè Sébé est une constante depuis près de deux décennies. De « Les Bobodiouf » à « Affaires Publiques », en passant par « Taxi Brousse » et d’autres productions, il a maintenu un niveau de pertinence et de connexion avec le public qui est sans équivalent. Cette longévité consolide son statut de figure centrale et incontournable.
Les Prétendants au Trône et la Richesse de la Scène
Affirmer que Bobs est le roi n’efface pas le talent d’autres acteurs majeurs qui ont marqué l’industrie. Leur existence renforce même l’idée que Bobs se distingue dans un paysage compétitif.
- Mousso Nanou (Armelle Sélégan) : Elle est sans conteste la reine. Son personnage de Mousso Nanou, d’abord dans « Les Bobodiouf » aux côtés de Bobs, puis dans sa propre série, est extrêmement populaire. Elle incarne la femme burkinabè moderne, entre tradition et aspiration à l’émancipation. Elle est la contrepartie parfaite et complémentaire à Bobs, formant avec lui un duo royal.
- Abdoulaye Dao & Issa Korogo (de « Enfin Bénis ! ») : Ce duo comique a connu un succès foudroyant avec leur web-série. Leur humour absurde et leur dynamique ont conquis une jeune génération. Ils représentent la nouvelle vague et sont des successeurs potentiels, mais ils n’ont pas encore la longévité et la diversité de rôles de Bobs.
- Éric Médéhor: Comédien et humoriste très respecté, il a marqué les esprits par ses one-man-shows et ses rôles à la télévision. Son influence est grande, mais elle est peut-être plus ancrée dans le stand-up que dans les séries télévisées à proprement parler.
Conclusion : Un Règne Fondé sur l’Authenticité et la Connexion Humaine
En définitive, si le Burkina Faso devait couronner un roi de ses séries télévisées, la couronne reviendrait, sans conteste possible, à Bobs Yélognissè Sébé (Boubacar Diallo). Son « règne » n’est pas despotique ; il est bienveillant et partagé avec des talents comme Mousso Nanou. Il est bâti sur une alchimie unique : une capacité à faire rire aux éclats tout en posant un regard profondément humain et critique sur la société.
De Sébé le polygame à Yélognissè le juste, en passant par le chauffeur de taxi brousse, Bobs a offert au public burkinabè une galerie de personnages dans lesquels il se reconnaît. Sa longévité, sa popularité transgénérationnelle et son impact sur la culture populaire (langage, postures, sujets de discussion) font de lui une institution. Il est plus qu’un acteur ; il est un miroir dans lequel le Burkina se voit, se reconnaît, et rit de lui-même, ce qui est la plus grande marque de succès pour un artiste.
