Introduction
Le cinéma burkinabè, l’un des plus dynamiques et respectés d’Afrique, doit sa survie et son rayonnement à un écosystème de financement complexe et multifacette. Né dans un contexte de faible pouvoir d’achat local et d’un marché de distribution cinématographique quasi inexistant, il n’a pu se développer qu’en s’appuyant sur un modèle hybride. Ce modèle combine un soutien public historique, des financements internationaux cruciaux, des investissements privés encore timides et des mécanismes de soutien originaux. Comprendre qui finance le cinéma burkinabè, c’est comprendre les défis et les stratégies de toute une industrie culturelle en quête d’autonomie.
1. Le financement public : un pilier historique et stratégique
L’État burkinabè, conscient de l’importance culturelle et politique du cinéma, a été un acteur fondateur et constant de son financement.
- Le Fonds de développement de l’industrie cinématographique et audiovisuelle (FDICA) / FOPICA : Créé en 2019 pour succéder et moderniser l’ancien Fonds de développement de la cinématographie (FDC), le FOPICA est l’outil principal de l’État. Il est alimenté par une taxe prélevée sur les billets de cinéma, les vidéoclubs, et une subvention budgétaire de l’État. Le FOPICA accorde des aides sous forme d’avances remboursables (si le film génère des recettes) pour la production, la distribution et l’exploitation. Son rôle est vital pour lancer les projets et permettre aux cinéastes de constituer un « apport personnel » nécessaire pour postuler à d’autres financements.
- Le Ministère de la Culture, des Arts et du Tourisme : Au-delà du FOPICA, le ministère offre des subventions directes pour des projets spécifiques, souvent liés à des événements nationaux ou à la promotion du patrimoine culturel. Il finance également la participation de films burkinabè à des festivals internationaux, un aspect crucial pour leur visibilité.
- Le FESPACO (Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou) : Bien que plus indirect, le FESPACO est un instrument de financement par la valorisation. L’Étalon d’or de Yennenga, son prix suprême, est doté d’une somme importante (20 millions de FCFA, soit environ 30 500 €). Cet argent, remis au réalisateur, constitue un capital de départ pour son prochain film. La notoriété du festival offre aussi une vitrine incomparable qui permet aux cinéastes de rencontrer des producteurs et des financeurs internationaux.
Exemple concret : Le film « Sira » d’Apolline Traoré (Étalon d’or 2023) a bénéficié d’un soutien du FOPICA. Ce financement public a été essentiel pour démarrer le projet et attirer ensuite d’autres partenaires.
2. Les financements internationaux : une manne indispensable
Face à la faiblesse des budgets domestiques, les cinéastes burkinabè excellent à mobiliser des fonds étrangers, faisant de la coproduction une règle plus qu’une exception.
- Le Fonds Image de la Francophonie (OIF) : Géré par l’Organisation Internationale de la Francophonie, ce fonds est un partenaire historique du cinéma africain. Il soutient financièrement la production et la distribution de films en français, avec un focus sur les œuvres qui portent les valeurs de la diversité culturelle. Pour un cinéaste burkinabè, obtenir le Fonds Image est souvent une étape clé.
- Les fonds européens (CNC, FFA, Aide aux cinémas du monde) :
- Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) français propose l’Aide aux cinémas du monde, un mécanisme de soutien sélectif aux films étrangers, souvent en partenariat avec d’autres pays. C’est une source majeure de financement.
- Le FFA (Filmförderungsanstalt) allemand et d’autres fonds régionaux en Europe (comme la Région Île-de-France) soutiennent également des projets africains, généralement dans le cadre de coproductions officielles.
- L’Union européenne (UE) : À travers ses délégations dans les pays, l’UE finance des projets culturels via des appels à propositions. Elle soutient moins la production de longs-métrages de fiction que les documentaires, les films de sensibilisation ou les projets de renforcement des capacités (formations, festivals).
Exemple concret : « Rabi » d’Abdoulaye Dao et Hervé Eric Lengani (2022) est une coproduction Burkina Faso / France / Sénégal qui a bénéficié du Fonds Image de la Francophonie, de l’Aide aux cinémas du monde du CNC et d’une aide de la Région Île-de-France.
3. Les acteurs privés et les partenariats : un secteur en développement
Le mécénat et l’investissement privé local restent limités, mais existent et se structurent progressivement.
- Les sociétés de production privées : Des structures comme « Les Films du Dromadaire » (d’Ouagadougou), « Sahélis Productions » ou « CINOMADE » investissent leurs propres fonds dans les productions. Leur modèle économique est précaire, car elles dépendent fortement des financements internationaux et des recettes des films, souvent faibles sur le marché local.
- Le mécénat d’entreprise : Quelques entreprises burkinabè, souvent dans les télécommunications, la banque ou l’agroalimentaire, soutiennent le cinéma, généralement par le biais du parrainage d’événements comme le FESPACO ou de prix spéciaux. Elles sont plus réticentes à financer directement la production d’un film, jugée trop risquée. Cependant, on peut citer des noms comme Onatel (téléphonie) ou Coris Bank qui ont apporté un soutien financier à certains projets ou événements cinématographiques.
- Les chaînes de télévision : La télévision nationale (RTB) et les chaînes de télévision privées (BF1, Canal+) sont des acheteurs potentiels des droits de diffusion des films. Cette pré-vente des droits est une forme de financement en amont, même si les montants restent modestes.
Exemple concret : La société de production Sahélis Productions a produit plusieurs films et séries télévisées burkinabè en investissant directement et en montant des dossiers de financement complexes combinant fonds publics et internationaux.
4. Les coproductions et les fonds spécialisés : la clé des grands budgets
Pour les films aux ambitions techniques et narratives plus larges, la coproduction internationale est la seule voie viable.
- Les accords de coproduction : Le Burkina Faso a signé des accords de coproduction avec plusieurs pays, dont la France. Ces accords permettent à un film d’avoir une double (ou multiple) nationalité, le rendant éligible aux aides des pays coproducteurs (comme le CNC français). C’est le modèle dominant pour les films d’auteur burkinabè à vocation internationale.
- Les fonds spécialisés des ONG et organisations internationales : Pour les documentaires et les films de sensibilisation, des organisations comme l’UNICEF, l’UNESCO ou des ONG peuvent être des financeurs. Leurs soutiens sont souvent « fléchés » vers des thématiques précises (santé, éducation, environnement).
Exemple concret : Le film « Zombies » (2023) de Balufu Bakupa-Kanyinda est une coproduction entre le Burkina Faso, la France, la Belgique et la République Démocratique du Congo. Ce type de montage a permis de réunir un budget conséquent en combinant plusieurs sources de financement européennes et africaines.
Conclusion
Le financement du cinéma burkinabè est une mosaïque ingénieuse où aucun acteur ne suffit à lui seul. L’État, via le FOPICA, joue un rôle de catalyseur essentiel. Les fonds internationaux, notamment français et francophones, constituent le moteur financier principal pour les films de qualité. Le secteur privé local, bien que encore marginal, commence à jouer son rôle, tandis que la coproduction s’impose comme une stratégie incontournable. Ce modèle, s’il a permis l’émergence de chefs-d’œuvre et la pérennité d’un cinéma d’auteur reconnu, révèle aussi une dépendance structurelle aux capitaux extérieurs. Le défi pour l’avenir reste de développer un marché local rentable (salles, VOD) et d’attirer davantage d’investisseurs privés nationaux pour assurer une plus grande autonomie créative et économique à la création cinématographique burkinabè.
