Il est important de noter que désigner un « meilleur » artiste est, par nature, subjectif. Cependant, en se basant sur des critères objectifs tels que l’influence, la longévité, l’innovation musicale, la profondeur des textes et l’impact sociétal, un nom se détache incontestablement du paysage hip-hop burkinabè.
Introduction
Le hip-hop burkinabè, bien que moins médiatisé que ses homologues sénégalais ou ivoiriens, possède une scène riche, militante et vibrante. Né dans les années 90, il a trouvé dans le pays du « Pays des Hommes Intègres » un terreau fertile pour dénoncer les maux de la société et porter la voix de la jeunesse. Dans ce paysage, évaluer le « meilleur » rappeur nécessite de regarder au-delà du simple flow ou des ventes d’albums ; il s’agit de mesurer l’empreinte laissée sur la culture elle-même. Cette analyse démontrera que Smarty, de son vrai name Souleymane Coulibaly, est largement considéré comme le pionnier et la référence ultime du rap burkinabè.
Smarty : Le Pionnier Intransigeant et la Conscience d’une Génération
Si un nom est synonyme de rap burkinabè, c’est bien celui de Smarty. Actif depuis le milieu des années 90, il n’est pas seulement un rappeur ; il est l’archétype du MC engagé, la voix rageuse et lucide qui a inspiré toute une génération.
Sous-titre 1.1 : La Longévité et l’Influence Fondatrice
Smarty a commencé sa carrière avec le groupe Bilk F (Black Force) avant de se lancer en solo. Son premier album solo, « Art de guerre » (2006), a été un électrochoc. À une époque où le rap burkinabè cherchait encore sa voix, Smarty a imposé un style brut, direct et sans compromis. Son influence est palpable chez presque tous les rappeurs burkinabè qui ont émergé après lui, de Yéyé le Doctorant à Kôz. Il est le « parrain » incontesté, celui qui a tracé la voie et montré qu’un rap exigeant et politiquement engagé était possible au Burkina Faso.
Sous-titre 1.2 : La Profondeur des Textes et l’Engagement Sociétal
La force principale de Smarty réside dans la qualité littéraire et la pertinence de ses textes. Il est un chroniqueur acerbe de la société burkinabè.
- Exemple 1 : « Art de guerre » (Titre de l’album et morceau)
Ce titre est un manifeste. Smarty y déclare une guerre verbale et idéologique à la corruption, à l’injustice sociale et à la médiocrité des dirigeants. Les lignes comme « Notre art de guerre c’est l’art de la parole, l’art de la rime, l’art du verbe » posent les bases de son credo : le rap comme arme de combat politique. - Exemple 2 : « À qui profite le crime ? »
C’est peut-être son titre le plus emblématique. Une plongée sombre et méthodique dans les mécanismes de la prédation économique et politique. La chanson est une démonstration de rap conscient, construite comme un réquisitoire implacable. Le refrain, « À qui profite le crime ? Cherchez les responsables », est devenu un slogan pour de nombreux jeunes Burkinabè. - Exemple 3 : « Lettre au Président »
Dans cette chanson, Smarty s’adresse directement au pouvoir en place. C’est un exercice risqué et courageux qui démontre son intransigeance. Il n’utilise pas de métaphores filées ; il accuse, nomme et condamne avec une clarté qui lui a valu autant d’admirateurs que d’ennemis. - Exemple 4 : « Dernier souffle »
Ce morceau montre la dimension introspective et humaine de Smarty. Au-delà du militant, il y expose ses doutes, ses luttes et sa détermination à continuer le combat coûte que coûte. Cela ajoute une épaisseur psychologique à son personnage public.
Titre 2 : Les Prétendants au Trône et leurs Spécialités
Bien que Smarty soit une figure dominante, la scène burkinabè est dynamique et d’autres artistes apportent des contributions majeures, excellant dans des domaines spécifiques.
Art Melody : L’Innovateur Musical et l’Ambassadeur International
Art Melody a su moderniser le son du hip-hop burkinabè en fusionnant le rap avec des sonorités traditionnelles mooré et des influences plus world. Il est celui qui a le plus efficacement exporté le rap burkinabè sur la scène internationale.
- **Exemple : « Môgô môgô » et sa collaboration avec *MHD* (pionnier du rap afro-trap français).** Son album « Wakatt » a été acclamé par la critique pour son audace musicale. Il montre qu’il est possible de rester ancré dans des thématiques locales (la rue, la lutte) tout en ayant une production résolument moderne et exportable.
Yéyé le Doctorant : L’Intellectuel et le Poète
Venu de la Côte d’Ivoire mais installé depuis longtemps au Burkina, Yéyé (du groupe YFL) apporte une approche plus philosophique et académique au rap. Ses textes sont très travaillés, riches en références et en figures de style.
- Exemple : « L’École de la vie ».
Ce titre résume sa philosophie : la connaissance comme arme suprême. Son flow est technique et ses textes nécessitent souvent plusieurs écoutes pour en saisir toutes les nuances, en faisant le rappeur « intello » par excellence.
Y. D. (Yankee D) : Le Bâtisseur de la Scène
Bien que moins en vue médiatiquement ces dernières années, Yankee D est un pilier historique. Membre fondateur de Bilk F au côté de Smarty, il est respecté pour son flow classique et son rôle dans la structuration de la scène hip-hop burkinabè dès ses débuts.
Analyse Comparative et Verdict
En croisant les critères, la prééminence de Smarty devient évidente :
| Critère | Smarty | Art Melody | Yéyé le Doctorant |
|---|---|---|---|
| Influence & Pionniérisme | Maximale (A ouvert la voie) | Élevée (Innovation sonore) | Moyenne/Élevée (Influence stylistique) |
| Profondeur des Textes | Maximale (Chronique sociale, politique) | Élevée (Thématiques de la rue) | Maximale (Philosophique, poétique) |
| Impact Sociétal | Maximale (Voix d’une génération) | Élevée (Moderne, fédérateur) | Moyenne (Public plus niche) |
| Longévité & Cohérence | Maximale (Actif depuis 25+ ans) | Élevée (Carrière bien établie) | Élevée (Carrière constante) |
| Innovation Musicale | Moyenne (Style roots et brut) | Maximale (Fusion tradition/modernité) | Moyenne (Style plus classique) |
Si Art Melody est le plus innovant musicalement et Yéyé le plus littéraire, Smarty est le seul à combiner au niveau le plus élevé l’ensemble des qualités qui définissent un « meilleur rappeur » dans un contexte de rap engagé. Son héritage, son courage et la puissance intemporelle de ses messages le placent au sommet.
Conclusion
En conclusion, désigner le « meilleur » rappeur burkinabè revient à identifier celui qui a le plus profondément marqué l’âme de son pays à travers son art. Si la scène actuelle est portée par des talents formidables comme Art Melody, qui représente la modernité, et des esprits brillants comme Yéyé le Doctorant, la pierre angulaire reste indéniablement Smarty. Par sa longévité, son influence fondatrice, la densité de ses textes et son engagement sociétal sans faille, il a transcendé le statut de simple musicien pour devenir une conscience, un historien et la voix la plus puissante du hip-hop burkinabè. Sa musique n’est pas seulement à écouter ; elle est à étudier pour comprendre les luttes et les espoirs du Burkina Faso contemporain.
